La procession du Saint Enterrement
- T. Delàs
- 11 avr.
- 5 min de lecture
Mars 2025
À Alquézar, à 21 heures le Vendredi Saint, le son des tambours et le passage des Romains ouvrent la procession du Saint Enterrement. Une comitive de différents personnages recréés par les habitants d’Alquézar accompagne le Saint Sépulcre de l’église paroissiale de San Miguel Arcángel à la collégiale de Santa María la Mayor pour redescendre à travers les étroités rues du centre historique de la ville médiévale.

Les origines de la procession du Saint Enterrement d’Alquézar remontent au XVIème siècle, une époque où les représentations de la Passion ont acquis une grande importance dans l’Espagne de la Contre-Réforme, bien que certains historiens suggèrent que ses racines pourraient être encore plus anciennes.
Les premières références documentées apparaissent dans les textes ecclésiastiques du XVIIème siècle, où l’existence de confréries dédiées à l’organisation de ces défilés processionnels est mentionnée. La Confrérie du Sang du Christ, documentée depuis 1623, a été la gardienne et la mainteneuse de cette tradition séculaire pendant près de quatre siècles. Elle a été fondée dans le but spécifique d’organiser et de préserver les rites de la Semaine Sainte, en particulier la Procession du Saint Enterrement et, au fil des ans, l’appartenance à cette fraternité a été un honneur pour les familles d’Alquézar, passant de père en fils la responsabilité de maintenir vivante cette manifestation de la foi et de la culture populaire.

Tout au long de son histoire, la procession a subi diverses transformations. Au cours du XVIIIème siècle, elle a atteint sa splendeur maximale, avec l’incorporation de précieux chars sculptée par des artisans locaux. Le désamortissement du XIXème siècle et les guerres qui ont suivi ont porté un coup sévère à ce patrimoine, perdant quelques sculptures de grande valeur.
Au XXème siècle, après une période de déclin, la procession connaît une résurgence remarquable. Dans les années 1980, coïncidant avec l’impulsion touristique d’Alquézar et la déclaration du centre historique en tant que site historique et artistique en 1982, d’anciennes chars ont été restaurées et des éléments traditionnels tombés en désuétude ont été récupérés. De toute évidence, Don José María Cabrero a été l’un des grands promoteurs de sa revitalisation et de son organisation au cours des dernières décennies.
En 2011, l’Association Culturelle d’Alquézar a été fondée, afin de ne pas perdre les anciennes coutumes et traditions, et de rendre les nouvelles technologies accessibles à tous les habitants (enfants et adultes) de la ville.
Reprenant le flambeau de la confrérie du Sang du Christ, l’Association, rebaptisée plus tard Association Culturelle de San Nicostrato en 2016, a été et continue d’être, année après année, un pilier fondamental pour la continuité et l’amélioration de la procession

La plupart des Alquezrans, qu’ils soient résidents toute l’année ou non, hi participent et, dans de nombreux cas, les personnages qui défilent passent de père en fils.
La comitive est ouverte par l’escadron romain qui se concentre sur la place Rafael Ayerbe et descendent en formation en marquant le pas au son des tambours pour escorter les chars et les participants depuis l’église de San Miguel.
Les pièces maîtresses de la procession, toutes portées sur les épaules, sont :
L’Urne du Saint-Sépulcre, le chart principal et le plus solennel, qui contient le gisant du Christ.
Le Christ crucifié, une sculpture en bois de 1152, de style roman de transition au gothique, qui est généralement vénéré dans la chapelle de Lecina à l’église collégiale de l’Alquèzar. Une particularité est le fait qu’à l’époque, il a été retouché, en faisant articuler les bras, afin qu’il puisse mieux passer les portes des églises. En 1988, il a été restauré par le gouvernement d’Aragon, le ramenant dans son état d’origine.

La Dolorosa, la procession se termine par l’image de la Vierge Marie dans sa douleur, très vénérée par les habitants d’Alquezar.
Une mention spéciale doit être faite aux Christs de Radiquero, Colungo et Almazorre, qui participent généralement aussi à la procession, en ajoutant de la magnificence au parcours.
Les Alquezrans sont soigneusement habillés représentant divers personnages non seulement de la Passion mais aussi de la Bible, nous pouvons citer, entre autres, Isaac, Moïse, Ruth, Judith, les Samaritains vêtues de blanc, les Sibylles, les Hébreux, les Servantes, la Foi, l’Espérance et la Charité, les 12 Apôtres, un rôle autrefois réservé aux membres respectés de la communauté, les Véroniques avec la toile représentant le visage du Christ, les trois Marie, Marie-Madeleine, Marie Salomé et Marie de Cléopas qui accompagnèrent la Vierge sur le Calvaire avec des robes noires et des mantilles, et le Cyrénéen portant la croix tout au long du parcours.

Une partie de la flamboyance et de la théâtralité est fournie par l’escadron romain ou « les soldats » vêtus de courtes tuniques rouges, de cuirasses métalliques, de casques et de capes. Le centurion devant eux porte le drapeau. Ils vont tous ensemble en marquant le pas pour escorter les images principales, représentant les soldats qui gardaient le corps du Christ.
Une partie de l’escadron porte des tambours, des grosses caisses et des clairons, marquant le rythme solennel tout au long du cortège. Parmi eux, il y a pas mal d’enfants qui assurent la continuité du groupe. Ils répètent pendant tout l’hiver pour que les plus jeunes puissent apprendre et garantir l’harmonie tout au long du parcours.
La participation à l’escadre romaine a toujours été très appréciée à Alquézar, passant dans de nombreuses familles les postes de père en fils. Leur présence apporte solennité et spectaculaire visuelle à la procession, recréant le contexte historique de la Passion et symbolisant l’autorité impériale qui a condamné le Christ.
Il a été une revendication importante des jeunes femmes d’Alquezar de faire partie de l’escadron romain. Au début, elles étaient autorisées à être parmi les tambours, étant formées par des parents plus âgés et justifiant qu’elles les remplaçaient, mais ce n’est que en 2019, que cinq filles ont pu participer en tant que soldats.
Tout un exploit.

Le reste de la population et des visiteurs continuent en tant qu’accompagnateurs, priant le Saint Rosaire, certains portant de grandes haches qui escortent les images principales.
La procession est émouvante et impressionnante, c’est un événement grand et touchant d’y participer, parfois en portant les haches, en écoutant le son des tambours, en traversant les rues médiévales étroites, en gravissant les pentes abruptes de la Collégiale, l’entrée et les événements qui s’y déroulent, puis la descente jusqu’à revenir à l’église de San Miguel où le Christ est vénéré sous l’impressionnant monument de la Semaine Sainte de la XVIIIème siècle qui mérite bien de faire l’objet d’un autre post.
Bien qu’il ne s’agisse pas du même sentiment de participation, c’est aussi un grand spectacle que de contempler la marche dans l’obscurité des le sommet de l’Arrabal en suivant l’évolution sinueuse des lumières des haches lorsqu’elles traversent les rues et la montée et la descente de la collégiale
En bref, la dédicace de toute une ville permet de célébrer année après année un grand événement qui ne se réalise pas comme une attraction touristique pour les visiteurs, mais comme une célébration pour les habitants du lieu eux-mêmes, comme la confirmation de la dévotion des Alquezrans et de leur détermination à maintenir vivante une tradition avec plus de 400 ans d’antiquité
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