La lavande
- A. Sampietro
- 4 avr.
- 4 min de lecture
Juillet 2024
Aux alentours des années cinquante du siècle dernier et pendant les mois de juillet et août se déroulait à Radiquero une activité très particulière, pour certains aujourd'hui presque oubliée et pour les jeunes totalement inconnue.

C’était la moisson et la distillation de la lavande, pour nous dans le Somontano « espigol ». C'est une plante aromatique sauvage qui pousse par les terres en friche et par la sierra, Vallemanzana, Vallebenzas, Capanas, El Tito et d'autres zones.
Elle était récoltée à la main avec de la « falz » (faucille) et de la « zoqueta » (sort de gant en bois) pour protéger l’autre main, on faisait des liasses qu’on transportait à dos de montures jusqu'à l'emplacement de la chaudière.
L'activité commençait avec l'arrivée d'un homme qui venait de l'entreprise qui ramassait l'essence et que nous appelions «l'espigolero». Il était chargé d'exécuter l'ensemble du processus.

On gardait la chaudière d'une année sur l'autre dans le sous-sol de l'ancienne maison de Broto. D'ailleurs, la façade de la maison Broto qui donnait sur la rue de Medio était magnifique, avec un arc en plein cintre sur l’auvent et devant la porte d'entrée, et un banc de chantier à chaque côté. Au-dessus, une terrasse couverte avec balustrade en pierre. Un escalier très large montait de la cour, jusqu’au foyer au sol de la cuisine, entouré d'une large « cadiera » (banc en bois)
On roulait la chaudière dans la rue jusqu'à la fontaine du village, derrière le tourniquet. La chaudière se composait de deux parties cylindriques de la même hauteur, d’environ un mètre et demi de diamètre. La partie supérieure était ouverte et la partie inférieure était aveugle, elle était assise dans une cavité de pierre et d’argile qui servait de four. Dans la partie inférieure il y avait une tôle percée des trous pour séparer l'eau qui cuisait ensuite l’épillet lorsque la chaudière était remplie, bien tassée et foulée pour profiter du volume. Les deux parties de la chaudière, en particulier le couvercle supérieur, étaient ensuite scellées avec de la boue et des agrafes afin qu’il n’y ait pas de fuite de vapeur
Du haut de la chaudière sortait un tube qui descendait verticalement vers un étang rectangulaire creusé dans le sol plein d’eau courante de la fontaine et du ravin, il entrait et sortait constamment pour refroidir le tube qui allait et venait en forme de zigzag.
C'était le serpentin qui faisait que la vapeur se liquéfierait de telle sorte que par l'extrémité sortait l'eau et l'essence sous forme liquide qui étaient ramassée dans un récipient métallique. Ensuite, il fallait séparer les deux liquides, mais comme la densité de l'eau est supérieure à celle de l'essence, ce n'était pas difficile.

L'allumage de la chaudière d'abord était fait avec des ajoncs, des branches sèches, restes de chênes vertes et kermès, puis la même lavande déjà cuite qui avait été enlevée de la chaudière avec une fourche en fer faisait du carburant, soit dit en passant, très bon. A l'arrière se trouvait la cheminée de sortie de fumée.
Une fois cet assemblage terminé, il fallait apporter la matière première. Il était crié auprès des villages environnants que la campagne avait déjà commencé. À Radiquero, les crieurs étaient la famille Blasco.
Il venait des gens d'Alberuela, Alquézar, San Pelegrín, Adahuesca et d'autres.
Une fois déchargées montures, on procédait à la pesée des fagots qui se faisait à l’aide d’un carrazon (grande balance) suspendu d'un bâton avec le vendeur d'un côté et le gérant de l'autre soutenant le poids. On additionnait le poids total des fagots et on étendait des bons qui étaient réglés et encaissés à la fin quand les gens de l'entreprise venaient pour recueillir l'essence qui avait été obtenue.

Ils ne donnaient jamais beaucoup d'informations sur ce qu'ils en faisaient, mais c'était censé être pour l'industrie pharmaceutique, la parfumerie, les cosmétiques, compte tenu des multiples applications que la lavande a.
Ce n'était pas une grande affaire pour ceux d'entre nous qui moissonnaient car ils le payaient à bas prix , environ 1 peseta le kilo, mais comme les économies à l'époque étaient très maigres, c'était une aide qui venait très bien à tous ces villageois, surtout s'ils étaient faucheurs experts ce qui était le cas.
Les dernières années, mon frère José (Pepe de Blas) a fait le travail de gérant, mais pour le moment je n'ai pas pu savoir avec précision combien de temps cela a duré, je crois que jusqu'à 68 ou 69,.
Ils s’ont emporté la chaudière et c'est là que tout s'est terminé, je ne sais pas non plus dans quelles années cette activité aurait dû commencer.
Tout ça est devenu de l’histoire.

De nos jours, c'est un grand affaire comme beaucoup d'autres, elle est cultivée sur de grandes étendues, en Provence française, en Espagne, à Brihuega où se rendent des centaines de visiteurs pour voir la floraison des champs et toute la zone de La Alcarria (province de Guadalajara) avec des milliers d'hectares qui sont semés avec soin sur de longues rangées, fauchés avec des moissonneuses spéciales et avec d'énormes alambics de type industriel pour la distillation. Les distilleries elles-mêmes commercialisent un nombre infini de produits qui en découlent.
Cet écrit ne vise qu’à maintenir la mémoire d’une activité qui, comme beaucoup d'autres ont disparu de nos villages dans l'espoir qu'un jour quelqu'un s'en souvienne.
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